Affaire Magba : le gouvernement doit prendre ses responsabilités.

Avec les dégâts enregistrés le 8 Août 2024, suite à un autre affrontement entre les bamoun et tikar, cette crise entre les deux communautés confirme chaque jour, sa progressivité et son enracinement.

L’humiliation du chef des Tikar de Magba, SM Ngamon 3 Soulé par le sultan des bamoun avait juste dégoupillé une grenade que les précédents Fons ont soit essayé d’enterrer, soit entretenu avec les réalités de leurs temps.

Le 03 Février 2023, au cours de sa tournée de prise de contact à Magba, le nouveau Fon des bamoun, avait vécu avec un silence approbateur, l’humiliation de son collègue de Magba, soit –  il de 3ème degré. Se fondant sur les liens entre les peuples tikar et bamoun, le chef tikar, dans son propos de circonstance, avait qualifié le Fon des bamoun de «  son fils », les bamoun étant l’un des descendants des tikar. Ce qui n’avait plu aux hommes de la garde «  Gros bras » du guide traditionnel bamoun. Ces derniers vont brutalement stopper  le chef tikar et lui ôter  tous ses attributs traditionnels, avant de le faire asseoir à même le sol, au pied de Fon des bamoun. Médusés par ce qui se déroulait sous leurs yeux et sur ce qu’ils estimaient  être «leur terre », les tikar vont se révolter après le retour de leur hôte. Suivra un affrontement sanglant entre les tikar et bamoun vivant Magba, qui se soldera par de nombreux blessés de deux bords, des comptoirs calcinés, la mise à sac de la chefferie Magba et l’incendie du véhicule de son chef. C’est le début de l’inimitié ouverte  entre les deux peuples et de l’affirmation de l‘indépendance des tikar vis-à-vis du palais Royal bamoun.

L’incident du 8 Août 2024, suite à l’annonce de l’organisation d’une caravane de lancement du Ngouon à Magba par les bamoum, n’est autre qu’un épisode de la tension allumée le 03 Février 2023. Cette caravane  dont  l’annulation  avait été suggérée  au Fon des bamoun par le gouverneur de la région de l’Ouest et ensuite interdite  par le sous préfet au vue des actes d’insécurité qu’elle pourrait entraîner ; les tikar n’étant pas d’avis, tant que le tort commis le 03 Février 2023 n’est pas réparé. Selon des sources concordantes, les bamoun vont entreprendre des actions de rue pour contester la décision de l’administration, par ce que disent ils, non seulement Magba appartient au « Royaume » bamoun, le Ngouon peut se célébrer où il veut sur la planète terre ; ce d’autant qu’il est inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Malheureusement, ils trouveront les tikar sur leur chemin et le choc va se solder par un bilan catastrophique : mort d’un jeune tikar ce jour et plusieurs comptoirs incendiés, dont le  joyau nouvellement  construit par le maire sous fonds de la dotation du ministère de la décentralisation et du développement local (100 millions c fa).

Le Noun administratif et le Noun culturel

Les tikar clament être installés dans l’actuel département du Noun en 1243, soit 151 avant la fondation du royaume bamoun par le prince tikar Nchare Yen. Ils avouent n’avoir jamais été conquis par aucune des dynasties bamoun. Magba appartiendrait donc au Noun administratif et non au Noun culturel c’est-à-dire le royaume bamoun « Nchare Yen quitte le village Nduin dans Ngambè – Tikar. C’est au niveau de Maboudji Pouteu qu’il va traverser le Mbam et non la Mapé, comme certains veulent laisser croire. Donc, Magba est situé géographiquement dans la plaine Tikar et administrativement dans le Noun. La culture bamoun et celle Tikar ne sont pas identiques. Le Ngouon est à Foumban et ici, nous avons Tchutii » indique le notable Secrétaire Général de la chefferie tikar de Magba, dans le résumé et traduction de l’interview que SM Ngamon 3 Soulé nous a accordée en langue locale. C’était le 09 Août 2024 sous le grand baobab de la cour. Soit un jour après l’incident qui au décompte final,  aura fait 3 morts et 7 blessés.

Dans cette bataille identitaire, les tikar de Magba reçoivent la solidarité des tikar basés dans les autres régions du Cameroun, à savoir le Nord Ouest, le Centre et l’Adamaoua. Le conflit bamoun – tikar échappe ainsi aux compétences du sous préfet de Magba, du préfet du Noun et même du gouverneur de l’Ouest. Du fait des actes du 03 février 2024 qui avaient choqué une bonne partie de l’opinion, les chefs tikar du Cameroun s’y étaient fermement impliqués, sortant ainsi cette affaire de son territoire du Noun et de l’Ouest. Le silence du ministre de l’administration territoriale Paul Atanga Nji, très prompt à pareilles occasions, en dit long sur la complexité de ce litige. Autant le Noun souhaiterait redevenir région ou être sectionné en plusieurs départements à l’image de l’ancienne région Bamiléké;  autant, les peuples tikar du centre, du Nord Ouest, de l’Adamaoua et de l’Ouest, tous frontaliers, voudraient se réunir dans une région avec pour guide traditionnel, leur ascendant, le chef Bankim.  Cette solidarité subite autour du chef Ngamon 3 Soulé, depuis le 03 février 2023  a certainement mis le gouvernement dans l’extrême embarras.

Par-dessus tout, le chef Ngamon 3 soulé de Magba dit attendre le fon des bamoun SM Nabil Mbombo Njoya, qu’il n’a de cesse de qualifier de «  mon fils » sous le grand baobab de sa cour afin, qu’ils soldent le contentieux d’il y 1 an 6 mois. Une main tendue qui sonne faux dans le tympan des bamoun et certainement de leur monarque

« Le roi ne peut pas descendre aussi bas. C’est le  chef Magba, de 3ème degré qui doit venir à Foumban pour exposer ses problèmes au roi… », argumente un fils bamoun. Selon ce dernier et beaucoup d’autre de sa communauté, ce serait brader une partie de sa puissance que d’aller vers SM Ngamon 3 Soulé ; pourtant, le monarque bamoun l’a quelque peu perdue, dès lors que son autorité n’est  plus  suivie, du moins , sur l’entièreté du  territoire de l’arrondissement de Magba.

Les discours de paix et du vivre ensemble sont claironnés par chacun des deux chefs traditionnels, sans que les actes concrets de cette paix ne suivent. D’ailleurs, chacun semble affûter ses armes pour avoir le dessus sur l’autre. D’aucuns parleraient de bal de ruses et de sorciers. Notons qu’il y a plusieurs chefs de 3ème degré tikar à Magba. SM Ngamon 3 Soulé prend le leadership de cette bataille pour la cause tikar, par ce que le village dont il a la charge est le siège des institutions de l’arrondissement.

Les ambazoniens dans la crise

C’est possible, les séparatistes ne lésineront sur la moindre occasion qui leur est offerte par ceux dits de la République. Ils exploiteront à fond la situation trouble chez le voisin et lui vendre ses services démoniaques, s’il en faut. Mais, pour faire agir la solidarité entre descendants des tikar sus évoquée, les frères du Nord Ouest pourraient renforcer « l’armée » de SM Ngamon 3 Soulé contre celle de SM Nabil Mbombo Njoya. Les amba boys qui auraient été invités dans cette guéguerre, pourraient ne pas être ceux de la race des séparatistes typiquement anglophones et nationalement reconnus. Il s’agirait des tikar anglophones, disposés à prêter main – forte à leur famille qui serait « opprimée » dans le Noun.

La politique politicienne aura servi la cause des tikar de Magba

Malmenés par l’Union Démocratique du Cameroun (UDC) du Dr Adamou Ndam Njoya, depuis 1996, les caciques du RDPC du Noun, ne trouveront du sourire qu’avec les victoires récoltées à Magba, c’est-à-dire dans le pays tikar du Noun. Le reste des arrondissements est resté majoritairement aux couleurs de l’UDC. Pour s’assurer d’une main mise durable du parti au pouvoir, sur cet électorat sorti de l’escarcelle du parti d’opposition, le Fon Ibrahim Mbombo Njoya et ses camarades feront de Magba une circonscription électorale spéciale, soit une mairie et un député. Elle prendra la dénomination de Noun – Nord, alors que les autres arrondissements vont se regrouper dans le Noun – Centre ; soit 8 communes et 4 députés. C’était suite au découpage spécial du 03 Juillet  2013. Par cette répartition ou calcul politique, L’État venait de manière inconsciente de consacrer le caractère spécial de Magba dans le département du Noun,  et les tikar y trouveront matière pour nourrir et renforcer  le combat  pour leur émancipation, tant susurrée.

Dans les communiqués de chacun des chefs traditionnels, aussi du maire de Magba, il ressort qu’ils se remettent tous à la décision du chef de l’Etat. Comment réagira Paul Biya pour une solution définitive à la crise de Magba ?  Pourra –  t –  il contraintre les deux leaders traditionnels à se mettre autour d’une même table ? N’est – il pas temps qu’une réflexion profonde sur le découpage territorial soit posée sur table ?

© Alexis Yangoua

 

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