Ouest/ 9ème Edition de la Journée Africaine de la Décentralisation.

« Il y a un manque de volonté politique affirmée de la part du Système au Pouvoir ».

Honorable Hermine Patricia Tomaino Ndam Njoya, Maire de la commune de Foumban

Devinfo237.com : 1996 – 2020, la décentralisation camerounaise a 24 ans, c’est-à-dire  au – dessus de la majorité même électorale. Comment appréciez- vous son avancée?

Hon HPTNN : Il y a un manque de volonté politique affirmée de la part du Système au Pouvoir, à qui incombe l’obligation de toutes les mesures nécessaires : légales, matérielles, financières qui s’imposent, pour la mise en application des dispositions de la loi fondamentale, consacrant depuis 1996, la décentralisation au Cameroun. En effet, plusieurs rendez-vous ratés, jalonnent l’histoire de la décentralisation dans notre pays :

LA DÉCENTRALISATION AU COEUR DE LA TRIPARTITE EN 1991, ET LORS DU GRAND DIALOGUE NATIONAL EN 2019

Inscrite en 1996, il y a 24 ans, dans la Constitution du Cameroun, loi fondamentale, la traduction dans les faits de la Décentralisation continue de traîner les pas, malgré toutes les alertes qui ont révélé son bien-fondé. La Décentralisation n’était certes pas, il faut le préciser ici pour le comprendre, un produit issu de la politique du gouvernement de l’époque ; le même qui a perduré jusqu’aujourd’hui : elle était plutôt le fait de la volonté du Peuple, exprimée lors de la rencontre Tripartite, en 1991. Rappelons-le, la Tripartite : Gouvernement – Partis Politiques de l’Opposition – Société Civile, intervenait alors, pour trouver des solutions aux nombreuses revendications du Peuple, dont le Retour au Multipartisme, la Liberté de la Presse, la Décentralisation, la Limitation du Mandat du Président de la République…revendications qui avaient abouti aux affrontements, violences et

« Villes Mortes », paralysant au moins  8 Régions des 10 que compte le Cameroun. La main forcée, le système en place pris de court, va faire contre mauvaise fortune, bon cœur, en « recrutant » un constituant qui va, certes consacrer la Décentralisation comme bien d’autres orientations arrachées de grande lutte dans la Constitution de 96, cependant, il en a fallu attendre  8 ans, en 2004 pour qu’une Loi portant Décentralisation soit votée à l’Assemblée Nationale et, 14 ans, en 2010 pour que les premiers décrets d’application interviennent…Cela peut faire l’objet d’un autre débat, mais, il est important de souligner en passant que, non seulement la constitution révisée était attendue depuis 1992, mais aussi, lorsque la copie est rendue en 1996, l’observateur averti note que, bien de dispositions ont été « diluées » à l’instar de l’Article 20 (2) donnant la latitude au PRC de nommer

3 des 10 Sénateurs par Région; certaines exigences du peuple qui ont réussi à prendre corps dans la Constitution sont restées lettres mortes, à l’instar de l’Article 66 sur la déclaration des biens ; d’autres, par exemple, celles relatives à la limitation du mandat présidentiel, ainsi que le mandat des membres du Conseil Constitutionnel, carrément et tristement ont été remises en cause ; de même encore que, les régions, telles que prévues depuis 1996 dans notre Constitution, lesquelles, avec les communes, constituent les Collectivités Territoriales Décentralisées n’ont, toujours pas pris

Corps.

« Le constat n’est guère reluisant, que l’on se trouve en zone urbaine ou en périphérie, ou en Commune gérées par le parti au pouvoir ou par l’opposition »

Que sont devenues les résolutions de la commission décentralisation du GDN ?

Les fruits ont-ils tenu la promesse des fleurs ? Qu’est-il du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées adopté en Décembre 2019 et présenté suite au GDN, comme étant une réponse du Chef de l’État en vue de l’effectivité de la Décentralisation ?

ÉTAT DES LIEUX DE LA DÉCENTRALISATION : QUE DISENT LES TEXTES ?

(1) La Décentralisation consiste en un transfert par l’État, aux Collectivités Territoriales, de Compétences particulières et de moyens appropriés.

(2) Elle constitue l’axe fondamental de promotion du Développement, de la Démocratie

et de la Bonne Gouvernance au niveau local.

Article 5 du Code Général de la Décentralisation

« …Elles jouissent de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux, et règlent par délibération les affaires de leur compétence… »

Article 8 du Code Général de la Décentralisation

Article 17 : « L’État transfère aux Collectivités Territoriales compétences nécessaire à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel, et sportif. »

Où en sommes-nous ?

Où en sommes-nous, depuis les transferts de compétences, dans nos Communes par rapport à la qualité de vie qui résume tout ceci ? Quid de l’état de nos routes ? Nos écoles ? Nos hôpitaux ? Nos marchés ? Nos maisons ? Notre approvisionnement en eau, en énergie…pour ne citer que ceux-là des

besoins de base, sans entrer dans le transport, le culturel, le tourisme, le loisir, l’environnement, le sport, les nouvelles technologies, l’agro-alimentaire, l’industrie, les services…Le constat n’est guère reluisant, que l’on se trouve en zone urbaine ou en périphérie, ou en Commune gérées par le parti au pouvoir ou par l’opposition…Le taux de croissance, les indices des personnes ayant accès à l’eau courante, le nombre de personnes fréquentant les hôpitaux, le revenu journalier moyen…Tous ces éléments attestent de la précarité ambiante ;

Sans être obligés de nous plonger dans les recherches comme pour une thèse, la litanie des raisons qui reviennent, font état des manquements tant organisationnels, que financiers, en commençant comme relevé plus haut, par l’organisation biaisée des élections des organes des Collectivités Territoriales.

« Le Message – Porté du MINDDEVEL en date du 1er Juillet 2020 est une plaisanterie de mauvais

Goût »

Devinfo237.com : quels sont les blocages ou difficultés sur les plans textuel et pratique des lois qui existent.

Hon HPTNN : Je dois revenir ici sur certaines observations que nous avions faites, à l’endroit du

Gouvernement, à l’Assemblée Nationale, lors de l’examen en Commission des Lois du

Projet du Code General des CTD qu’il défendait. Force est de constater que la Décentralisation est gérée comme un produit de politique politicienne gouvernementale  et non comme une Institution

constitutionnelle, entraînant l’obligation pour sa mise en place : sinon, comment expliquer les lenteurs et freins observés et des fois « défendus » dans sa mise en œuvre ?  Vu les Résolutions du GDN, un Gouvernement conséquent devait déposer un Code General des CTD  assorti de ses lois d’application : combien de temps va t-il falloir attendre encore ? Face au cas du Maire de Penja, révélateur des situations interpellatrices  sur le terrain, du fait de l’absence des lois d’application, et, à la réaction du MINDDEVEL, nous craignons bien que, ce que nous avions déclaré, à savoir que, sans avoir au préalable pris connaissance des nombreux renvois aux textes d’organisation en préparation, faire passer cette Loi était comme signer un chèque en blanc au Gouvernement.

Le Gouvernement doit se garder des « récupérations » vaines qui vont plus contribuer à ralentir le processus. Le Message – Porté du MINDDEVEL en date du 1er Juillet 2020 « Suspendant l’exercice de la compétence relative à l’exploitation des substances minérales non concessibles transférées aux Communes par le Code » est une plaisanterie de mauvais goût : comment imaginer qu’une loi votée par le parlement soit réduite à ce genre de manipulation ? La République est encadrée par des règles et principes à respecter.

A entendre le Gouvernement à chaque prise de parole discriminer les CTD : Communes et Régions, de l’État, nous avons cru devoir le ramener à notre entendement de l’Article premier (2) de la Constitution : La République du Cameroun est un État unitaire décentralisé. Pour notre part, l’esprit de la Constitution consacre l’État du Cameroun à deux niveaux : au niveau central, et au niveau local, décentralisé. Les CTD  sont des démembrements de l’État et donc, n’en sont pas moins l’État. Cette volonté de confiscation du pouvoir sans partage, renforce le pouvoir des autorités nommées de Tutelle, les gouverneurs et les préfets, qui eux seuls, selon cette compréhension, représenteraient l’Etat, au détriment des Élus, Maires et Conseillers Régionaux. Pour nous, en démocratie, le Pouvoir est au Peuple.

Devinfo237.com : Madame le Maire, quelques innovations ont été largement évoquées par le gouvernement

Hon HPTNN : Les innovations présentées ne le sont pas en réalité : Rassembler les textes épars ne constitue point une innovation ; C’était une anomalie de nommer des personnes à la tête des Communautés Urbaines, comme il reste une anomalie de nommer des Sénateurs, revenir à la raison ne relève pas de l’innovation.  Il en va de même du statut de l’élu local et de la Fonction Publique Locale qui étaient attendus comme effet normal de la Décentralisation. Parler de suppression du principe de l’exercice concurrent des compétences pour dire que vous n’allez plus permettre aux préfets à concurrence des maires de réaliser des ouvrages dans la Commune, tout en remettant les précisions à une règlementation qui va intervenir plus tard, ou en permettant des exceptions, est un autre leurre ;

Plus grave, la tutelle et les services déconcentrés deviennent des « Appuis Conseils » qui vont marchander de plus belle leurs services en bloquant plus les CTD, alors qu’ils sont déjà payés par l’État Central.  Enfin, le refus délibéré de consacrer véritablement l’autonomie financière par la mise à disposition des Communes, de la Dotation Générale, ou la création d’une banque des Communes afin de les soustraire aux griffes des Trésorier Payeur Général(TPG) ; préférer des mécanismes flous de péréquation et de calcul des centimes additionnels continuent d’en dire long. Quant au Statut Spécial, en nous arrêtant sur la House of Chiefs, nous avons fait savoir au Gouvernement, qu’il en aurait fallu instaurer pour toutes les régions : le décret de 77 portant Organisation des Chefferies Traditionnelles faisant des Chefs traditionnels des Auxiliaires d’Administration, est un autre nid à problèmes désuet, car comme l’avait démontré le Dr Adamou NDAM NJOYA dans un ouvrage, intitulé REFORMER LES CHEFFERIES TRADITIONNELLES AU 21ème SIECLE, ou encore dans un autre : LA REPUBLIQUE MENACÉE, en République, personne n’est obligé de se soumettre à l’autorité d’un Chef traditionnel, le contrat est volontaire, pourtant, tous les citoyens sont soumis à la loi, y compris le chef traditionnel et toutes les autres autorités, préfet, maire, ministre et Président de la République. De nombreux conflits de positionnement entre élus, tutelle et chefs traditionnels freinent véritablement le développement local et sont sources de nombreux torts causés : arrestations arbitraires, chasse aux sorcières, resserrement des populations dans un étau, confusions  de rôles, non-respect du Protocole d’État entretenus par « copinage » politique.

Devinfo237.com : Madame le Maire, face à cette kyrielle d’insuffisances, que suggérez – vous ?

Hon HPTNN : De l’expérience des fonctions que j’assume à la tête d’une CTD, depuis 4-5 mois, les premières suggestions :

  • le rôle capital du MINDDEVEL dans l’accompagnement des CTD.

Le MINDDEVEL, de par ses missions, devrait se considérer comme l’Expert, le Haut Consultant Technique de l’État en matière de Décentralisation, et dont, la mise en application effective, son cheval de bataille.

  • Les CTD devraient être les interlocuteurs directs et sans transition par

les Préfets,  du MINDDEVEL. Les Délégués du Minddevel là où ils existent, devraient contribuer valablement comme le prescrit le Code, à condition que le Préfet les laisse travailler. Un Service Interface au Minddevel, exactement comme une ligne verte, avec les CTD recueillant leurs sollicitations en temps réel devraient être le défi à relever. En attendant les décrets d’application, résoudre au cas par cas, serait le meilleur accompagnement des CTD, confrontés à de nombreuses incompréhensions relatives à l’interprétation des textes par les uns et les autres. Nous avons été étonnés ces derniers temps, par la multiplication des interpellations des maires par le Minddevel, qui passaient par les préfets : ces derniers sont-ils la hiérarchie du Ministre ?

De toutes les façons, les Maires n’ont pour hiérarchie, ni Ministre, ni Préfet. Ils répondent aux populations. De même, le Minddevel devrait se garder, de « piloter » les CTD à travers un « flot »

de Messages -Porté : une fois encore, il n’est pas le supérieur hiérarchique des CTD ; il est le département d’appui qui n’a pas vocation à « administrer » les CTD qui, de par leur Statut, s’administrent librement. Toutes les bonnes informations et rappels que le Minddevel sert aux CTD de cette façon inappropriée, peut se faire autrement ; L’autre risque à courir, moins reluisant pour l’image de tous, est, ce qui a été observé : des Messages-Porté envoyés un jour et, annulés le lendemain ! L’Administration par WhatsApp ou par Message-Fax- Porté- Convocation par le Minddevel, les Préfets et Sous-préfet devraient laisser la place à la pratique de la rédaction administrative plus, conforme, plus humaine.

« les CTD sont maintenues dans un cadre d’éternelle assistance »

–   Les CTD devraient être accompagnées particulièrement par rapport aux services très sensibles et incontournables, car inhérents à leur raison d’exister, à savoir, de l’état civil et de la police municipale : Au lieu de multiplier les Centres d’état civil Secondaires, dont très peu travaillent en collaboration avec les Communes, ou même respectent les lois, Renforcer les capacités des CTD pour qu’elles puissent se déployer sur le terrain en matière d’état  civil. Il y  va de l’harmonie recherchée en matière d’établissement des actes d’état civil.

–     La démographie galopante dans nos villes rimant avec désordre urbain, pour l’ordre et la sécurité, la tranquillité de tous, mettre un point d’honneur à former et installer la Police municipale dans nos villes. Il est un fait, l’effectif de nos éléments des forces de l’ordre laisse à désirer.

–    Il serait plus judicieux  pour l’État en charge de la Décentralisation, d’imaginer un redéploiement direct dans les CTD des moyens accordés aux organismes et institutions partenaires comme le PNDP, le FEICOM, le BUNEC ; Ce qui suppose qu’ils ne soient plus des d’intermédiaires, mais que leurs missions s’expriment directement dans les CTD. Ce qui se passe dans le fond, est que les CTD sont maintenues dans un cadre d’éternelle assistance. De même comme il a été « entretenu » que les

femmes n’étaient pas capables de ci ou de ça, les maires sont taxés ne pas être capables de ci ou de ça…et de nombreux « tuteurs » se pressent autour, sans leur donner l’occasion de faire valoir leur responsabilité en matière d’opportunité.

–     Dans chaque Commune, il faut un Service compétent et des moyens à disposition permanents pour les questions d’urbanisme, de maturation des projets, de recherche de financements. Au regard des besoins, continuer à se soumettre au calendrier et à la pression des organismes partenaires d’appui ne permet pas une capitalisation et prise de conscience utiles, car, finalement les CTD ont à l’esprit que c’est le « business » des Organismes d’Appui.

–    Les personnels des services déconcentrés doivent être reversés purement simplement au service des CTD.

–    Organiser des rencontres de renforcements des capacités impliquant à la fois et dans un même cadre, les autorités en charge de la tutelle et les CTD serait l’idéal, pour permettre à chaque corps, de prendre la mesure de sa responsabilité

Devinfo237.com : Concrètement Madame le Maire, quelles orientations pourriez – vous coller aux suggestions sus citées

Hon HPTNN :

1- Strict respect de l’autonomie  administrative (organisationnelle et fonctionnelle) financière, foncière, politique…en conformité aux lois et à l’unité nationale : Le contrôle administratif de la tutelle ne s’explique pas : la tutelle elle-même des fois ignore ou méconnait la loi ;

2- Gestion du fichier électoral local au sein des CTD ;

3- Reformes foncières en vue de doter des terres aux Communes pour la réalisation des nombreuses infrastructures immobilières de développement qui passe par la propriété foncière ;

4- Banque destinées aux communes qui recevrait pour chaque Commune sa Dotation Générale et autres financement ;

5- Le recrutement des secrétaires généraux et des receveurs municipaux, censés être les principaux collaborateurs du maire doit être du ressort de la CTD suivant les normes en la matière ;

6- Les Centres des Impôts CDI, devraient travailler en étroite collaboration avec les Services compétents de la mairie en vue d’un même fichier, une politique cohérente envers les contribuables afin qu’ils adhèrent sans toujours avoir l’impression de subir des assauts ;

UNE ANNONCE POUR TERMINER.

A l’attention de tous les acteurs soucieux de la mise en application, la meilleure de la décentralisation au Cameroun, est la création d’un cadre de veille, une plate forme de partage, un forum de discussion sur la décentralisation au Cameroun dont les modalités d’organisation et de fonctionnement seront déclinées très prochainement dans un autre cadre.

 

Propos recueillis  par

Alexis YANGOUA

Devinfo237.com

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